La Fin du conte
Par Pascale Raud
Il vient encore de passer plusieurs heures devant son ordinateur. La sécheresse créatrice qui le tient à la gorge depuis six mois commence à ressembler à un désert sans fin. Cela ne lui est jamais arrivé auparavant. Il se sent tranquillement devenir fou.
Il descend sur la plage respirer l’air du large. Il veut oublier pendant au moins un moment le calvaire qu’il s’impose chaque jour : s’asseoir, écrire, effacer, écrire encore, tout recommencer. Le silence de la nuit n'est troublé que par le bruit du ressac. La lune éclaire faiblement la crique enclavée entre les deux falaises. Les yeux levés vers le ciel sans étoiles, il fume sans se presser, appréciant la sensation du sable mouillé qui se dérobe sous ses pieds nus. Il aime l'âpreté des galets qu’il rencontre parfois.
Il s'apprête à rentrer lorsqu'il voit les créatures, à quelques mètres du rivage. Leur chevelure flotte à la surface de l'eau, laissant seulement affleurer leurs petits yeux brillants.
Étrangement, il ne se sent pas effrayé et s'assoit sur une roche plate à fleur d'eau pour mieux les observer. Il finit sa cigarette sans hâte, puis il ne fait plus rien d'autre que les regarder.
Ils se contemplent longtemps ainsi, lui et les créatures. Enfin, alors que l'aube pointe à l'horizon, l'une d'entre elles lève lentement un bras nu. De l'index, elle lui indique un point situé au sol, proche de ses pieds, puis elles plongent et disparaissent sans un bruit.
Il baisse les yeux. Il y a là une petite roche ovale qu'il n'avait pas encore remarquée, d'un noir si pur qu'il en est éblouissant. La prenant dans une main, il en caresse lentement la surface, suivant de l'index le dessin compliqué incrusté au centre : un cercle avec en son milieu un œil. L’œil est relié au cercle par quatre lignes qui forment des angles droits parfaits. À l'intérieur de l’œil, un motif fait de trois branches recourbées semble tourner autour d'un centre imaginaire.
Il met la pierre dans sa poche puis se décide à rentrer. Quelles étranges créatures… Il gravit la courte pente qui sépare la plage de sa maison, héritage de ses parents morts trop tôt. Avant de se coucher, il consulte son livre sur les symboles, car il est sûr d’y avoir vu celui de la pierre. Oui, c’est un triskèle, mais simplifié. Les Celtes représentaient de cette façon la spirale de la vie ; c'était pour ainsi dire un symbole de renaissance. Étrange qu'un tel signe soit gravé sur un caillou. Il ferme les volets en bois lourd de sa chambre pour créer une pénombre suffisante, pose la pierre bien en vue sur le chevet et se couche tout habillé sur le lit.
Incapable de fermer l'œil, il se relève après une heure. Le corps tremblant d'une fièvre qu'il n'a pas connue depuis plusieurs mois, il s'installe à son ordinateur, qui n'est jamais éteint, et commence à écrire. Il écrit pendant des heures, complètement survolté. Lorsqu'il se couche, en début d'après-midi, avec un sourire extatique, il sait qu'il est sur la bonne voie. Il presse la pierre contre ses lèvres et s'enfonce dans un sommeil profond.
© 2008, Pascale Raud
© 2008, Pascale Raud
Pour lire la suite, vous savez quoi faire ;-)
Bonne idée de mettre les extraits en ligne pour tous tes textes. Les miens font partie de mes pages assez souvent consultées :)
RépondreSupprimerEt je réalise en regardant ta bibliographie qu'il faudrait que je mette la main sur Zinc #15, c'est ton seul texte que j'ai pas lu!